14 novembre 2024
La Maison est le 4e inédit que les éditions José Corti publient depuis la disparition de Julien Gracq en 2007. Qu’est-ce qui fait la force de ce texte ?
La Maison est un bref récit rédigé probablement entre 1946 et 1950 et resté inédit plus de soixante-dix ans. Il apparaît rétrospectivement comme une sorte de condensé du premier Gracq, dans lequel on retrouve bien sûr son style mais aussi certains de ses thèmes de prédilection, et une nouvelle variation autour de la maison. Dans sa brièveté, le texte retrace un passage et on a le sentiment, aujourd’hui, à la lumière de l’ensemble de l’œuvre de Gracq, que ce passage est aussi un seuil dans l’œuvre elle-même. L’intérêt est donc double : littéraire mais aussi historique puisque le récit s’inscrit durant l’Occupation, qui apparaît en toile de fond.
Ce livre s’inspire d’un trajet que l’auteur faisait régulièrement en car entre Angers, où il enseigna pendant l’Occupation, et son fief de Saint-Florent-le-Vieil. La Maison n’est-elle pas une œuvre éminemment ligérienne ?
La Maison s’appuie en effet sur une situation autobiographique. Mais c’est pour s’en émanciper. Dans une certaine dimension, le texte est même le récit de cette émancipation. Il n’en reste pas moins que les paysages, l’« étendue de campagne remarquablement hostile et déserte » et les bois versatiles que le narrateur traverse sont précisément situés, à quelques kilomètres d’Angers en effet. Décrits avec minutie, ils semblent simultanément échapper à leur réalité géographique pour être le support d’un dépaysement.
En tant que nouveau responsable des éditions Corti, avec Marie de Quatrebarbes, quelle place tient Julien Gracq dans votre catalogue et faut-il s’attendre à de nouveaux inédits ?
Depuis Au château d’Argol, en 1938, toute l’œuvre de Gracq a été publiée par les éditions Corti et cette fidélité est bien sûr essentielle dans notre catalogue. En ce qui concerne les nouveaux inédits, il y a dans le fonds Gracq déposé à la BnF un ensemble de 29 cahiers intitulés Notules, dont Julien Gracq a interdit la publication jusqu’en 2027. On peut découvrir, en ce moment, la pile impressionnante de ces cahiers à la BnF, dans la belle exposition des manuscrits de Gracq « La forme d’une œuvre », conçue par Jérôme Villeminoz. Mais il faudra donc attendre 2027 pour découvrir leur contenu !
Vous êtes vous-même écrivain, et avez été en résidence à la Maison Julien-Gracq, à Saint-Florent-le-Vieil, en mars dernier. Sur quoi avez-vous travaillé et en quoi cette ancienne demeure de l’auteur du Rivage des Syrtes est-elle inspirante ?
Je suis venu pour travailler sur un projet autour de L’Émile de Rousseau et plus précisément sur la manière dont le personnage d’Émile, avec sa personnalité, sa vivacité, rentre, au fur et à mesure de l’écriture du traité, en tension avec l’exposé argumentatif de Rousseau. C’est une manière de poursuivre, dans mon travail, une réflexion sur le statut des personnages dans des textes qui ne sont pas à proprement parler des romans ni des récits. Mais la Maison Julien Gracq a fait son effet. Entre les moments de lecture, les rencontres et la bibliothèque extraordinaire de la Maison, ce projet a trouvé l’espace suffisant pour se transformer au point de devenir, au moins durant le temps de la résidence, complètement autre chose.
La Maison, 84 pages, disponible aux éditions José Corti